Larmes partagées.

22 Août

Une symbolique immense émane de l’utilisation d’un même mouchoir pour essuyer ses larmes. Essuyer les larmes de l’autre. C’est plus encore qu’un simple geste de tendresse. C’est la prise d’une responsabilité. Je me porte garant de ton malheur, sembles-tu dire.

J’ai toujours trouvé belle  la pensée de deux personnes qui souffrent d’un mal déchirant mêler cette douleur en une intimité profonde, murmurée.

« Embrasse-moi de ton cœur déchiré, de tes mains tremblantes de fureur, tes yeux larmoyants de mélancolie. Embrasse-moi et oublions cette vie et ses codes pour les deux minutes d’amnésie que nous nous accorderons. Embrasse-moi pour te faire pardonner. Embrasse-moi et mêlons nos affres. Fusionnons et laissons-nous consumer par la douleur de la transe des sentiments. Mais embrasse-moi pour oublier momentanément la condition funeste de nos destins. » S’en suivra un bal de passions déchainées, de fronts envahis par nos mèches de cheveux mouillés, les yeux embués de larmes, les bouches rougis, arènes de notre combat contre la fatalité de notre sort, nos mains trouvant repos sur nos corps respectifs, tremblantes, frissonnantes, cherchant frénétiquement le tissu de l’autre telle une bouée de secours, une barre métallique, un soutien dans l’union de notre chute. Ton souffle chaud mêlé au mien, la collision de nos expirations simultanées, tel une tornade d’air chaud et froid. Une tornade qui emporterait les valises lourdes de nos passés et les ferait tournoyer comme si c’était des plumes. Tournoyer, encore et encore. Ta langue, bienfaitrice, essaierait durement mais surement de me rassurer, de me calmer, d’apaiser mes haut-le-cœur de larmes, conséquences de mon innocuité flétrie, de mes espoirs bafoués. La poigne de fer avec laquelle j’agrippe ta chemise me fait peur à moi-même : ou donc cachais-je toute cette rage ? Mes épaules sont endolories par des courbatures, à force de sanglots et de frottements contre l’âpreté du mur. Tu es dur contre moi, te positionnant en l’homme fort que j’ai toujours su que tu étais. Comme si tu voulais marquer l’évidence. Mon autre main parcourt ton cou moite, convulsivement. Des soubresauts violents soulèvent ma poitrine et m’empêchent de respirer correctement. Mais ce serait un véritable sacrilège de quitter tes lèvres. Ce serait être sur un balcon sans rambarde, avec pour seul échappatoire, le vide. Je serais vide. Je ne saurais plus à quoi me retenir, rendant ma chute inévitable, mon ultime plongeon dans une piscine mortuaire, nécessaire. Je ne peux te lâcher, je ne le peux pas. Je te sens, la base de ta nuque rêche, les tendons de ton cou qui jouent nerveusement sous mon toucher. Tes cheveux qui caressent doucement cette nuque veloutée que je martyrise pourtant. Mes doigts frôlent en staccato les lignes gracieuses de ton cou, laissant sur son chemin des traces sanglantes de mon passage. Comme les drapeaux de victoire sur les fronts de guerre. Je veux y laisser ma marque, la mienne. Graver dans ta mémoire et sur ta peau, preuve de notre désir douloureux, de la danse fiévreuse de nos corps, consumés par la véhémence de nos effleurements.

La nuit ne fait que renforcer notre empressement. Rendant la nuit décisive, ouverture a un lendemain incertain. Filtrée par la fenêtre, la lumière de la Lune scinde nos deux corps en une barrière imperceptible par notre proximité. Mais tu n’es pas assez proche, tu ne le seras jamais. Je veux que tu sois encore plus proche, encore plus fondé en ma personne. Je veux que tu t’insinues dans mes veines et t’abreuves de mes larmes. Je veux que tu baignes dans les fleuves empoisonnés de ma mémoire. Je veux que tu te loges, ingrattable, dans les meubles de ma pensée. Que tu prennes possession de ma conscience et corrobores mon jugement. Ma jambe entoure ta taille, te rapprocher semble être mon unique objectif à long terme. Je veux que tu me possèdes toute entière et ne me laisse pas seule dans ma décadence. Envahis-moi et tiens-moi plus fort. Je veux sentir les muscles de tes avant-bras jouer contre ma main qui les enserre, je veux sentir tes épaules puissantes m’envelopper dans une couverture de providence. Nos baisers semblent devenir implorants, suppliant chacun silencieusement de ne pas partir. Une démonstration de piété amoureuse dont je me rappellerais à jamais. Tes mains torturent mes hanches, glissent et façonnent un paysage sanglant. Tu ne sembles plus vouloir me lâcher. Ne me lâche pas. Ne me laisse pas couler. Mon dos se retrouve bientôt empreint de traces rouges et blanches, par la force de ta poigne. Ne me lâche pas. Punis les erreurs que je ne me pardonne pas. Nous partageons les stigmates de nos larmes d’affliction. De notre haine mutuelle pour la laideur de nos péchés.

Mea culpa disais-tu.

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